Le haut-de-forme d’Auguste
Amélie s’ennuie. C’est dimanche, et Mamie a invité toute la famille à déjeuner. Maintenant que le repas est terminé, les adultes prennent le café en discutant de choses sérieuses et les enfants sont priés d’aller jouer. Mais Julie, la cousine préférée d’Amélie, n’est pas là et Amélie n’a pas du tout envie de jouer à la guerre avec son frère et ses cousins. Du coup, elle s’ennuie et traîne comme une âme en peine dans la maison.
Amélie finit par se rappeler avoir vu de vieilles bandes dessinées dans un coin du grenier, l’été dernier. Après avoir demandé la permission à sa grand-mère, elle file chercher sa précieuse lecture. « Brrr, fait pas chaud ici », se dit-elle en entrant. La pièce est encombrée* de cartons et de vieux meubles poussiéreux, et quelques toiles d’araignées pendent du toit. En fouillant, la petite fille tombe sur une vieille malle* en cuir, qu’elle n’avait encore jamais vue. Elle soulève le couvercle et découvre un magnifique manteau de fourrure, une somptueuse robe en dentelle*, des gants, de vieilles paires de chaussures et une grande boîte ronde. Amélie ne résiste pas à l’envie de se glisser dans le manteau, si doux et si chaud, et d’essayer les belles chaussures à talons. Puis elle se tourne vers la grosse boîte ronde. Elle l’ouvre et en sort délicatement un grand chapeau noir et brillant.
Amélie souffle dessus pour enlever la poussière et le chapeau se met à tousser. Surprise et un peu effrayée, Amélie lâche le chapeau, qui tombe par terre. « Ouille, grogne le chapeau. Attention, voyons ! Mademoiselle, par pitié, ne me laissez pas comme ça, mon satin* va être couvert de poussière et je serai bon à jeter à la poubelle ! » D’une main tremblante, Amélie reprend le chapeau et le pose sur un carton. « À qui ai-je l’honneur ? » demande le chapeau. « Euh, je m’appelle Amélie », répond la petite fille. « Vous devez être la fille d’Yvonne, n’est-ce pas ? » dit le chapeau. « Non, Yvonne, c’est ma grand-mère. Je suis la fille de Caroline », répond Amélie. « Oh, mon Dieu, que le temps passe vite ! s’exclame le chapeau. Je me présente : je suis le chapeau haut-de-forme de votre arrière-arrière-grand-père Auguste. Votre aïeul* m’a acheté en 1922 pour son mariage avec Suzanne. Quelle belle cérémonie ! Votre arrière-arrière-grand-mère était magnifique. C’est sa robe de mariée qui se trouve dans la malle. Auguste me portait tous les dimanches pour aller en promenade au parc et parfois aussi le soir, en semaine, pour aller au théâtre ou à l’opéra. Suzanne portait un adorable petit chapeau cloche* en soie* bleue, dont je suis tombé follement amoureux. Après, il y a eu la guerre et je suis resté plusieurs années dans mon carton. Jusqu’au mariage d’Yvonne, en 1945. Auguste a tenu absolument à me porter, même si je n’étais plus à la mode. Ce fut ma dernière sortie. Auguste est mort quelques années plus tard, et on m’a oublié au fond de cette malle. » « Quel dommage, répond alors Amélie. Vous êtes si beau, si élégant. Attendez, j’ai une idée ! »
Une heure plus tard, Mamie, étonnée, demande : « Mais où sont passés les enfants ? » Et à ce moment-là, arrive au bout du couloir un drôle de cortège*. Revêtue de la robe de mariée de Suzanne, Amélie s’avance fièrement, accrochée au bras de son cousin Benjamin, coiffé du fameux chapeau haut-de-forme. Les jumeaux et le petit frère d’Amélie jouent les garçons d’honneur, portant la traîne de la mariée et criant : « Vive les mariés ! ». Tout le monde se lève pour applaudir la noce* et Mamie, très émue, embrasse ses petits-enfants en disant : « Quelle bonne idée ! Vous avez raison, les enfants, il ne faut pas oublier toutes ces belles choses au fond du grenier. »
Encombrer : c’est quand un espace est rempli de choses ou de gens qui empêchent de se déplacer normalement.
Une malle : c’est une sorte de coffre.
La dentelle : c’est un tissu avec des ouvertures qui forment des dessins de fleurs le plus souvent.
Le satin : c’est un tissu brillant.
Un aïeul : c’est l’ancêtre de quelqu’un.
Un chapeau cloche : c’est un chapeau en forme de cloche très à la mode dans les années 1920.
La soie : c’est un tissu très doux et brillant.
Un cortège : c’est un défilé.
Une noce : c’est un mariage.